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L'erreur à éviter est de penser que seul le dirigeant de droit est responsable puisque désigné dans les statuts de la société. En effet l'inscription d'un patronyme dans le pacte social ne fait pas obstacle à la recherche d'une autre responsabilité comme celle du dirigeant de fait. Avocats Picovschi, expert en droit des affaires, vous informe sur les risques encourus.
Quelle différence entre dirigeant de droit et de fait ?
Le dirigeant de droit est celui qui est désigné par les statuts de la société pour diriger celle-ci ; il peut s'agir d'une ou plusieurs personnes. À titre d'illustration, il peut être question du gérant d'une société à responsabilité limitée (SARL), du président de la société anonyme (SA), ou bien encore du président d'une association.
À l'inverse, le dirigeant de fait n'est aucunement investi d'un tel mandat social. Il n'est pas le représentant légal, mais va pourtant exercer un réel pouvoir de gestion dans la société. Il est souvent perçu au regard de tous, notamment dans les relations avec l’extérieur, comme le représentant de la société.
Ainsi, les articles L. 241-9 et L. 245-16 du Code de commerce disposent qu’est considérée comme dirigeant de fait, «toute personne qui, directement ou par personne interposée, a, en fait, exercé la direction, l'administration ou la gestion [d'une entreprise] sous couvert ou en lieu et place de ses représentants légaux. »
Comment reconnait-on un dirigeant de fait ?
La définition du dirigeant de fait
Selon les divers arrêts rendus par la Cour de cassation, le dirigeant de fait est défini comme « celui qui en toute indépendance et liberté exerce une activité positive de gestion et de direction et se comporte, sans partage, comme « maître de l'affaire » » (Cass. Com. 10/10/1995). Il va exercer cette « activité positive de gestion et de direction de l'entreprise sous le couvert et au lieu et place du représentant légal » (Cass. Crim. 23/11/2004).
En quelques mots, le dirigeant de fait va exercer toutes les attributions qui sont normalement dévolues au dirigeant de droit alors qu'il n’en a pas la qualité.
Cette notion relève du pouvoir souverain des juges du fond qui vont examiner la réalité des faits pour retenir ou non l'existence d'un dirigeant de fait. Ils vont devoir caractériser un faisceau d'indices dans la mesure où il n'existe pas de critère permettant à lui seul de détecter formellement un dirigeant de fait.
Les indices mettant en évidence l’existence d’un dirigeant de fait ?
Ces indices sont de plusieurs ordres. Il s'agit par exemple de voir si la personne a la signature bancaire, si elle signe les documents commerciaux et administratifs ou encore si elle peut traiter avec la clientèle des contrats d'une grande importance. La qualité de dirigeant ne pourra toutefois être présumée. La charge de la preuve incombe au demandeur qui pourra la rapporter par tout moyen.
Le dirigeant de fait peut être une personne physique. Souvent, il va s'agir de l'époux qui, sous le coup d'une interdiction, ne peut pas être le gérant de droit, ou encore du prêteur qui a dépassé son devoir de conseil et a joué un rôle important dans la gestion de la société.
Dans un arrêt en date du 6 février 2001, la chambre commerciale de la Cour de cassation a également retenu « la qualité de dirigeants de fait de personnes qui ne se sont pas bornées à leur rôle d'investisseurs ou à trouver des solutions de restructuration financière mais, dépassant une intervention à titre de conseil, ont exercé un véritable pouvoir de direction en plaçant le conseil d'administration dans un état de dépendance, en soumettant les décisions de cet organe aux résultats de leurs recherches et de leurs avis » (Cass. Com. 6 février 2001).
En outre, le 2 novembre 2005 la Cour de cassation a jugé qu’une personne morale pouvait être considérée comme dirigeant de fait au regard de la situation de dépendance dans laquelle elle avait mis les filiales du groupe (Cass. Com. 2 novembre 2005). Peut donc être considérée comme dirigeant de fait, une société mère qui s’immiscerait dans la direction et l’administration de sa filiale ou le banquier qui s’immiscerait dans l’administration de la société débitrice.
Il importe peu que la personne soit salariée, rémunérée, associée ou non. Il s’agit véritablement d’une problématique de fait.
Gérance de fait : quelles conséquences pour la société et son dirigeant en termes de responsabilité ?
Un cumul de responsabilité possible
La gestion de la société peut être attribuée au dirigeant de fait. En ce cas, le dirigeant de droit n'est qu'un « homme de paille ». Elle peut également résulter de l'action de concert entre ces deux personnes. En tout état de cause, dès lors qu'il existe un dirigeant de droit et un dirigeant de fait, leurs responsabilités peuvent se cumuler.
En effet, le statut de dirigeant de droit ne fait pas écran et n'empêche pas de rechercher la responsabilité du dirigeant de fait. Bien au contraire, en présence d'un dirigeant de fait, les juges vont également engager la responsabilité du dirigeant de droit puisqu'il n'a pas su conserver ses pouvoirs. Inversement, toutes les fautes susceptibles d'engager la responsabilité du dirigeant de droit sont également imputables au dirigeant de fait.
Responsabilité personnelle du dirigeant de fait
Il est possible d'engager la responsabilité personnelle du dirigeant de fait en vertu du droit commun. De même, si la société fait l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire, le dirigeant de fait peut être poursuivi pour comblement de passif si des fautes de gestion détachables des fonctions ayant contribuées à l'insuffisance d'actif lui sont personnellement imputables.
En principe, l’action en comblement de passif de l’article L651-2 du Code de commerce ne peut pas être cumulé avec l’action en responsabilité personnelle des articles 1240 et 1241 du Code civil (Cass. Com. 28 février 1995 et 20 juin 1995). Toutefois, dans un arrêt du 7 mars 2006 la Cour de cassation a considéré qu'un cumul des actions est possible dès lors que l'action fondée sur le droit commun est justifiée par des faits antérieurs au jugement d'ouverture de la procédure collective causant au demandeur un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers, et qui résultent d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions (Cass. Com. 7 mars 2006 n°04-16.536).
Ainsi, une personne s'immisçant dans la gestion d'une société et devenant par la même occasion dirigeant de fait s'expose dangereusement.
En plus de sa responsabilité civile, le dirigeant de fait peut voir sa responsabilité pénale et sa responsabilité fiscale engagées.
La responsabilité pénale du dirigeant de fait
Le dirigeant de fait peut en effet voir sa responsabilité pénale engagée au titre des infractions qu'il a pu commettre au cours de la gestion. Ces infractions peuvent être de nature intentionnelle ou non.
Dans un arrêt du 12 septembre 2000, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi condamné un dirigeant de fait pour homicide involontaire en raison du décès d'un des salariés dû au non-respect des règles de sécurité des travailleurs (Cass. Crim. 12/09/2000).
A noter que si le dirigeant de fait engage sa responsabilité pénale, il peut également engager celle de la personne morale en tant que représentant de fait de celle-ci. En vertu de l'article 121-2 du Code pénal « les personnes morales, à l'exclusion de l'État, sont responsables pénalement, […], des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. »
Enfin, la situation du dirigeant de fait est encore plus périlleuse que ne l'est celle du dirigeant de droit.
Le dirigeant de droit peut en effet arguer d’une délégation de pouvoir pour s’exonérer de sa responsabilité pénale alors que le dirigeant de fait, qui ne dispose de ses « pouvoirs » qu'en raison d'une situation factuelle, ne peut pas déléguer.
La délégation n'est effectivement possible que pour la personne qui détient en droit et non en fait les pouvoirs qu'elle s'apprête à déléguer.
Ainsi les conséquences pour la société et le dirigeant, de fait comme de droit, ne sont pas à prendre à la légère.
Avocats Picovschi, expert en droit des affaires depuis plus de 30 ans, saura vous conseiller la meilleure stratégie pour faire valoir au mieux vos droits.
Sources : legifrance.gouv.fr ; articles 1240 et 1241 du Code civil ; article 121-2 du Code pénal ; Cass. Com. 28 février 1995 n°92-17.329, 20 juin 1995 n°93-12.810, 10 octobre 1995 n°93-15553, 6 février 2011 n°98-15.129, 2 novembre 2005 n°02-15.895, 7 mars 2006 n°04-16.536 ; Cass. Crim. 12 septembre 2000 n °99-88.011, 23 novembre 2004 n°04-80.830 ; « Le dirigeant de fait » pour journaldunet.fr.