Covid-19 et hydroxychloroquine : quel impact sur la liberté de prescription du médecin ?

Covid-19 et hydroxychloroquine : quel impact sur la liberté de prescription du médecin ?
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En cette période inédite de crise sanitaire et d’interrogations des plus diverses sur le Covid-19, ses symptômes, son dépistage, ses traitements, l’utilisation ou non de l’hydroxychloroquine a fait polémique et a donné matière à débats politiques virulents, divergents, s’agissant d’une problématique majeure de Santé Publique. Avocats Picovschi revient sur cette actualité.

Prescription de l’hydroxychloroquine... des positions divergentes : pour ou contre ?

Les débats se sont matérialisés par des divergences de positions accrues qui se sont traduites par l’intervention de deux décrets du 11 mai 2020 et du 26 mai 2020 qui, à 15 jours d’intervalle, ont : autorisé l’utilisation de l’hydroxychloroquine, pour l’un, l’ont interdit, pour l’autre.

Sera examiné, ci-après, ce qu’il y a lieu de retenir :

  • du décret du 11 mai 2020 autorisant l’hydroxychloroquine, à titre dérogatoire, selon un encadrement spécifique / les dispositions de l’article 19
  • du décret du 26 mai 2020 abrogeant l’article 19 et interdisant, par la même, l’hydroxychloroquine,
  • de la liberté de prescription du médecin,
  • du choix du patient quant au traitement préconisé pour l’amélioration de son état de santé.

Décret du 11 mai 2020 : prescription l’hydroxychloroquine selon un encadrement spécifique

Le Décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 qui a prescrit les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 avait, à travers son article 19, encadré juridiquement l’utilisation de l’hydroxychloroquine.

Il avait, en effet, été prévu que « par dérogation à l’article L 5121-8 du Code de Santé Publique, l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/rotovanir peuvent être prescrits, dispensés et administrés sous la responsabilité d’un médecin aux patients atteints par le Covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile. »

Ces prescriptions n’intervenaient qu’après décision collégiale et dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique.

L’hydroxychloroquine pouvait, alors, être prescrite à titre dérogatoire, seulement à l’hôpital et uniquement pour les patients gravement atteints, sur décision collégiale des médecins.

Etaient considérés comme établissements de santé, les hôpitaux des armées, l’Institution nationale des Invalides et les structures médicales opérationnelles relevant du Ministre de la défense déployées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Décret du 26 mai 2020 : interdiction de prescrire de l’hydroxychloroquine

Il n’aura fallu qu’un laps de temps de 15 jours pour qu’un Décret n° 2020-630 du 26 mai 2020 vienne modifier le Décret du 11 mai 2020.

Il n’est, désormais, plus possible de prescrire de l’hydroxychloroquine, l’article 19 qui en autorisait la prescription étant, désormais, abrogé.

L’article 1 du Décret du 26 mai 2020 a donc abrogé l’article 19 avec effet immédiat et ceci est paru au Journal officiel du 27 mai 2020.

Ceci est survenu à la suite d’un avis défavorable du Haut Conseil de la Santé Publique,

Saisi par le Ministre de la santé, le Haut Conseil de la Santé Publique avait recommandé de « ne pas utiliser l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19 » hors essais cliniques, que ce soit seule ou associée à un antibiotique.

L’Agence du médicament (ANSM) a annoncé avoir lancé la procédure de suspension « par précaution » des essais cliniques évaluant l’hydroxychloroquine chez les patients atteints de Covid-19.

Ces avis ont été émis à la lumière d’une étude parue dans une revue médicale considérant que ce médicament présentait des risques.

L’OMS a, également, suspendu ses essais cliniques.

Le médicament est commercialisé sous le nom de Plaquénil en France et fait partie des nombreux traitements testés depuis le début de l’épidémie de Coronavirus. Il est, aussi, prescrit pour lutter contre les maladies auto-immunes, le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde.

Le Décret met, également, fin à la prescription hors essais cliniques contre le Covid-19 du médicament associant lopinavir et ritonavir, deux anti-rétroviraux, pointé par l’ANSM pour ses risques cardiaques, ce médicament étant commercialisé en France sous le nom de Kaletra.

Interdiction de prescrire de l’hydroxychloroquine : quelles conséquences pour les médecins ?

Est-ce à dire qu’un médecin, qui jugerait qu’il y a lieu de prescrire de l’hydroxychloroquine car ceci serait nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins (telles que prévues par le Code de la Santé Publique), ne pourrait pas le faire ?

Il y a lieu d’examiner, ci-après, ce qu’il en est de la liberté de prescription du Médecin.

Suivant les dispositions de l’article R 4127-8 du Code de Santé Publique, il est prévu que : « Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins.

Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

  • La prescription s’accompagne de l’obligation d’informer le patient et d’obtenir son consentement.
  • L’Article L 162-2 du Code de la Sécurité Sociale précise que :

« Dans l'intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d'exercice et de l'indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d'installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur à la date de promulgation de la loi n° 71-525 du 3 juillet 1971. »

La mise en œuvre de la liberté de prescription qui est un principe déontologique fondamental consacré par le législateur doit être guidée par la prise en compte de trois séries de critères :

  • Les données acquises de la science,
  • La qualité, la sécurité et l’efficacité des soins,
  • L’évaluation du bénéfice/risque.

Sous réserve de respecter la démarche rappelée ci-dessus, rien ne s’oppose à la prescription de médicaments en dehors des indications figurant sur l’Autorisation de mise sur le marché, cette dernière précisant les pathologies pour lesquelles le médicament a été autorisé.

Dans un Arrêt du 18 septembre 2008, la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation avait jugé que « la faute civile du praticien ne saurait se déduire de la seule absence d’autorisation de mise sur le marché et des effets indésirables du médicament, dès lors que le traitement prescrit est reconnu pour son efficacité et que, s’il s’accompagne de complications connues, il n’est pas établi que les données de la science puissent y remédier. »

La prescription hors autorisation de mise sur le marché est une préoccupation constante en médecine de ville puisque le non- respect de l’AMM conduit à un non- remboursement de l’assuré et devient une préoccupation croissante dans certaines spécialités soumises à une pression légale.

Aux termes d’un Arrêt de la Cour de Cassation du 20 mai 1936 (MERCIER), la Cour de Cassation avait précisé les exigences liées à cette liberté, comme suit : « le médecin a l’obligation sinon bien évidemment de guérir le malade, du moins de lui donner des soins, non pas quelconques mais consciencieux, attentifs, et réserve faite des circonstances exceptionnelles, conformes aux données actuelles de la science. »

Dans l’intérêt de la Santé publique, l’administration peut limiter cette liberté.

Les règles qui régissent la liberté de prescription n’excluent, à aucun moment, la possibilité d’utiliser un médicament hors du cadre de l’Autorisation de mise sur le marché.

Lorsque les médecins prescrivent « une spécialité pharmaceutique en dehors des indications thérapeutiques ouvrant droit au remboursement ou à la prise en charge de l’assurance maladie, ils sont tenus de le signaler sur l’ordonnance, support de la prescription. » (article 162-4 du Code de la Sécurité Sociale.)

Ceci signifie qu’il n’est pas interdit de prescrire en dehors des indications mais que cela expose l’assuré social à ne pas être remboursé.

La prescription d’un produit en dehors des modalités décrites dans l’AMM ne constitue ni une faute civile ni une faute professionnelle passible de sanctions.

Il est à noter que les recommandations et références médicales élaborées sur de grandes études peuvent guider la pratique clinique mais ne peuvent constituer à elles seules les données actuelles de la science.

Leur extrapolation à un patient particulier est de la responsabilité de chaque prescripteur au regard de l’intérêt du patient.

Le non-respect de l’autorisation de mise sur le marché ne constitue pas a priori une faute pénale s’il n’y a pas de faute médicale ou de préjudice.

La prescription hors autorisation de mise sur le marché est possible dès qu’il n’existe pas de prescription possible dans le cadre de l’AMM et que cette prescription est conforme aux données actuelles de la science.

Le prescripteur doit informer le patient et obtenir son consentement à une prescription a fortiori si elle est hors AMM.

La liberté de prescription des médecins n’est donc pas supprimée et un praticien hospitalier peut toujours prescrire et administrer un médicament hors autorisation de mise sur le marché, la liberté de prescription étant individuelle.

Interdiction de prescrire de l’hydroxychloroquine : le patient a-t-il le choix ?

Qu’en est-il du choix du patient quant au traitement préconisé pour l’amélioration de sa santé ?

Il résulte des dispositions de l’article L 1111-4 du Code de Santé Publique que « toute personne prend avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. »

« Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. »

Dans une décision du 16 août 2002, le Conseil d’Etat a érigé en liberté fondamentale l’obligation de respecter en toutes circonstances le consentement du patient.

Le médecin doit donner des soins, non pas quelconques mais consciencieux, attentifs, dévoués et conformes aux données acquises de la Science. Le Conseil National de l’Ordre des Médecins exige l’exercice de la médecine « morale car cette activité implique altruisme et dévouement et scientifique car elle impose, comme un devoir, la compétence. »

Le corps médical est tenu au respect du principe de proportionnalité qui renvoie au rapport bénéfice/risque inhérent à tout acte médical. Le praticien doit donc apprécier la nécessité du traitement par rapport aux risques que le malade est susceptible d’encourir.

A supposer qu’un patient contaminé par le Covid-19 ne soit pas d’accord avec la prise en charge thérapeutique (ou l’absence de prise en charge) adoptée par l’hôpital, pourrait-il demander au juge administratif d’imposer le recours à l’hydroxychloroquine pour traiter son infection ?

En pratique, en l’absence d’alternative thérapeutique appropriée, un médecin libéral reste libre de prescrire l’hydroxychloroquine hors autorisation de mise sur le marché pour traiter un patient atteint du Covid-19, à la condition qu’il juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient.

Tout patient a le droit de recevoir « sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins appropriés à son état de santé, tels qu’appréciés par le médecin.»

Dans une décision, rendue en Référé le 26 juillet 2017 (n° 412618), le Conseil d’Etat avait jugé qu’un hôpital ne pouvait se voir imposer de pratiquer sur un patient un traitement que l’équipe médicale n’avait pas choisi. Les Juges avaient relevé « qu’aucune disposition ne consacre un droit du patient à choisir son traitement », réaffirmant la liberté thérapeutique du médecin.

Le médecin ne dispose pas d’un blanc-seing dans le choix du traitement à mettre en œuvre. Le Juge contrôle les diligences accomplies par l’équipe médicale en charge du patient pour déterminer le traitement le plus approprié à son état de santé et vérifie si la décision a bien été prise en tenant compte des risques encourus et du bénéfice escompté. Le Juge sera, également, sensible à l’existence de plusieurs avis médicaux concordants pour un même cas donné.

Ainsi, si la liberté de prescription et le choix du traitement appartenant au corps médical sont « préservés », ceci se fait en considération de multiples critères et facteurs particulièrement renforcés en période de crise sanitaire.

En cette période inédite, les principes fondamentaux inhérents à l’exercice de la Médecine et les Règles de Santé Publique doivent, plus que jamais, trouver à « s’accorder » dans l’intérêt de tous malgré des opinions parfois très virulentes comme celles relatives à la prescription ou non de l’hydroxychloroquine. Avocats Picovschi suit de près l’actualité relative au Covid-19 et ne manquera pas de vous tenir informé.

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