Diffamation : la bonne foi ou l'exception de vérité constituent-elles des faits justificatifs ?

Diffamation : la bonne foi ou l'exception de vérité constituent-elles des faits justificatifs ?

| Mis à jour le 20/05/2015 | Publié le

Entre diffamation et révélations de propos peu flatteurs, la frontière peut être mince ! Si la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse sanctionne les propos diffamatoires, elle connaît néanmoins quelques limites. En effet, s'il paraît naturel que soit sanctionné le fait de tenir des propos volontairement mensongers nuisant à la réputation de personnes physiques ou morales, quid lorsque les propos tenus par le présumé auteur de la diffamation le sont de parfaite bonne foi ? Et qu'en est-il lorsque les propos tenus ne sont que le reflet de la vérité ? Avocats PICOVSCHI vous en apprend davantage dans les lignes qui suivent.

Les victimes de diffamation le savent, les propos négatifs dont elles ont pu faire l'objet les suivent comme une seconde peau. Ils sont susceptibles d'avoir des répercussions extrêmement négatives, sur leur ego bien sûr, mais également sur leur image, leur réputation et leurs activités professionnelles.

C'est en prenant conscience de la gravité de ce type d'agissements, que le législateur a prévu que la diffamation publique peut être punie d'une amende de 12.000 €.  Certaines circonstances aggravantes peuvent rendre la sanction plus sévère : 45 000€ d’amende si elle est faite à l’encontre d’un élu local, parlementaire ou policier en raison de ses fonctions. La même amende est applicable en cas de diffamation comportant des motifs racistes, sexistes, homophobes ou à l’encontre des handicapés, prononcée envers une personne désignée ou envers un groupe de personne. Une peine de prison d’un an peut être prononcée pour cette dernière hypothèse.

Toutefois il existe des exceptions permettant d’exonérer de sa responsabilité l’auteur des propos.

Par un arrêt de la 1ère chambre civile du 17 mars 2011, la Cour de cassation a précisé leur mise en place.

« La diffamation. Une idée excellente. Le banal assassinat ne tue qu'une fois mais la diffamation tous les jours »  La Vérité, de Terry Pratchett, 2000

Les faits

En l'espèce, un syndicat avait entrepris une campagne aux fins de renouvellement des membres du comité d'établissement d'une société. Dans ce contexte, le syndicat avait distribué des tracts, contenant notamment les termes suivants : « Enfin M. B oublie de vous rappeler qu'en 2000, alors qu'il était secrétaire du CE, il a licencié Mme Juliette A, assistante du CE et ce, de façon indigne, surtout alors qu'elle souffrait d'une grave et longue maladie ».

Monsieur B., visé par les termes du tract, avait alors fait assigner le syndicat en diffamation, qui se défendait en affirmant avoir agi en toute bonne foi.

Dans un premier temps, la Cour d'appel, pour écarter la diffamation imputée au syndicat, avait énoncé« que celui-ci n'avait fait que porter à la connaissance des salariés, de toute bonne foi, des faits avérés tenant à la manière dont M. B avait procédé au licenciement d'une employée atteinte d'une maladie grave ayant exercé son activité professionnelle au sein du comité d'établissement pendant plus de seize années et ce, dans un contexte électoral particulièrement tendu ».

Elle avait ensuite ajouté que « la vérité des faits allégués est corroborée par l'attestation, rédigée par M. L, qui n'est pas contestée ».

Monsieur B. décidait alors de former un pouvoir en cassation.

Saisie de la question, la Haute juridiction adopte une position totalement différente de celle de la Cour d'appel, et reproche aux juges du fond d'avoir confondu bonne foi et exception de vérité.

 Le raisonnement de la Haute juridiction s'opère en plusieurs étapes.

La définition de la diffamation par la Cour de cassation

Est tout d'abord visé l'article 29 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, lequel définit la diffamation : « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure ».

La bonne foi, un fait justificatif répondant à des conditions strictes

La Cour de cassation rappelle ensuite que le fait justificatif de bonne foi ne peut être retenu qu'à condition que soient réunis les éléments suivants : « la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression ainsi que [par] le sérieux de l'enquête ».

La bonne foi peut donc être retenue  et emporter exonération de sanctions, mais dans ce cas, quatre conditions doivent nécessairement être remplies :

  • La recherche d'un but légitime dans les propos tenus
  • L'absence d'animosité personnelle
  • La prudence dans l'expression
  • L'existence d'une enquête préalable sérieuse, permettant de s'assurer de la véracité des sources.

L'examen de la jurisprudence des dernières années permet d'affirmer que les juges sont relativement sévères quant à l'appréciation de ces quatre conditions, et encore plus lorsqu'ils ont à faire à des professionnels de l'information tels que des journalistes, des écrivains ou des historiens.

L'exception de vérité, un formalisme procédural rigoureux

En ce qui concerne l'exception de vérité, la Cour de cassation rappelle les termes de l'article 55 de la loi de 1881, lequel dispose que « Quand le prévenu voudra être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires, conformément aux dispositions de l'article 35 de la présente loi, il devra, dans le délai de dix jours après la signification de la citation, faire signifier au ministère public ou au plaignant au domicile par lui élu, suivant qu'il est assigné à la requête de l'un ou de l'autre :

1° Les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ;

2° La copie des pièces ;

3° Les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve.

Cette signification contiendra élection de domicile près le tribunal correctionnel, le tout à peine d'être déchu du droit de faire la preuve ».

En l'espèce, la Cour d'appel ne s'était pas assurée, que le syndicat avait respecté le délai de dix jours après la signification de la citation pour faire l'offre de preuve de la vérité des faits imputés à M. B. La Cour de cassation considère donc que l'exception de vérité devait être rejetée.

En réalité, il ressort de la jurisprudence que l'exception de vérité est rarement admise, non seulement en raison de ce formalisme procédural lourd, mais également parce que certains éléments ne peuvent pas être invoqués (faits concernant la vie privée, faits antérieurs à dix années, faits amnistiés etc.)

Par ailleurs, les juges se montrent particulièrement exigeants quant à la preuve de la vérité des faits allégués. Ils attendent en général que celle-ci soit, selon les termes classiquement employés par la jurisprudence, « complète, parfaite et corrélative aux diverses imputations formulées, dans leur matérialité et leur portée ».

Ainsi le juge et le législateur semblent se montrer plus favorables à la personne diffamée qu'au présumé auteur de la diffamation. Ce dernier a certes la possibilité d'invoquer des faits justificatif, mais  le recours à un avocat compétent en diffamation, disposant de toute la finesse et de l'expérience nécessaire sera particulièrement utile en cas de poursuites.

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